Linea
Pierre-Marie Lejeune, du principe d’invention
Ni sculpteur, ni designer. Pierre-Marie Lejeune est catégorique. Il réfute toute qualification qui le cataloguerait dans l’exercice d’une pratique jugée par lui comme réductrice par son appellation. En revanche, il revendique volontiers celle de dessinateur pour ce que le dessin est en amont de toute création. Ne serait-ce qu’en pensée dans sa graphie originelle de dessein, c’est-à-dire de projet, quand l’esprit pense une forme avant de la matérialiser. Le terme de Linea qu’il a retenu pour titre de son exposition vient donc à propos pour nous inviter à considérer son travail à l’aune d’un point de départ.
Ce souci d’une origine passe pour un des vecteurs cardinaux de sa démarche et l’assure tant au rapport des formes retenues que des matériaux mis en jeu d’une permanente régénérescence de sa production. Structure, construction, nucleus, colonne constituent les éléments formels des pièces présentées ici dans un jeu de déclinaisons qui croisent l’emploi de matériaux réfléchissants comme s’il était toujours question de renvoyer le regard à sa propre expérience perceptuelle.
Pierre-Marie Lejeune s’est inventé l’expression d’« objets poétiques » pour désigner la sorte de travaux qu’il réalise quelles que soient leur dimension – à portée de main ou à échelle monumentale – et leur destination – à l’intérieur ou à l’extérieur. Que ceux-ci en appellent à une forme ramassée comme sa série des mains, architecturée comme ses consoles, circulaire et ouverte comme cette figure aux allures de roue solaire, voire de vaisseau spatial qui lui appartient en propre et le signe au premier regard.
L’art de Pierre-Marie Lejeune est requis par le jeu d’associations et de combinaisons qui confèrent à ses travaux une dynamique interne : traversée, emboîtement, réflexion, équilibre, etc. Certains sont même chargés d’un potentiel lumineux qui en multiplie les variations. La prédilection de l’artiste pour des formes usinées est à l’égal de son intérêt pour une production d’objets uniques, sinon éditées à quelques exemplaires, qui en appellent à un savoir-faire spécialisé de praticiens avec lesquels il travaille parce qu’il est toujours par l’échange en situation de recherches nouvelles.
Pierre-Marie Lejeune présente par ailleurs trois séries de photographies de dessins originaux à l’encre sépia. Tirés en argentique, ceux-ci offrent à voir tout un lot de projets d’œuvres comme les éléments d’un vocabulaire plastique avec lequel composer. Le choix qu’il a fait de livrer non les feuilles dessinées mais leur image transposée sur papier photo relève d’une volonté de mise en abîme pour restituer au dess(e)in sa nature virtuelle. Il y va là d’une mesure quasi alchimique à l’instar de tous les effets de dématérialisation qui font la spécificité de ses « objets poétiques ».
A considérer leur diversité et leur singularité, il semble bien au bout au compte que l’œuvre de Pierre-Marie Lejeune est réglée par un principe d’invention au sens premier de ce mot. A savoir qu’elle se nourrit elle-même de la liberté que lui octroie l’artiste dans le rapport sensible et cognitif de ses constituants. Toutefois, si elle s’invente soi-même, elle n’en ignore pas pour autant toute une histoire des formes, sinon de l’art.
Philippe Piguet